Depuis le 1er juillet, le taux d’emprunt d’État à 10 ans de la France est à -0,05 %. Une situation intéressante pour les investisseurs, mais inquiétante du point de vue des économistes.
Article publié dans Le Parisien par Matthieu Pelloli - Publié le 9 juillet 2019 à 05h54 C'est un séisme passé complètement inaperçu. Normal, il n'a secoué que les spécialistes des emprunts d'État. Mais il n'en reste pas moins un véritable tremblement de terre financier : le 18 juin dernier, pour la première fois de son histoire, le taux d'emprunt à 10 ans de la France est passé en négatif. Plus précisément, en jargon d'économiste, l'obligation assimilable du Trésor (OAT) – c'est-à-dire le taux d'intérêt des emprunts français à 10 ans – est passée à - 0,002 %. Et ce tremblement de terre a généré une réplique quelques jours plus tard : le 1er juillet dernier, le taux d'emprunt d'État à 10 ans est repassé en territoire négatif (- 0,05 %).
Un taux négatif, qu'est-ce que ça veut dire ?
Prenons un exemple concret : avec un taux négatif à - 0,002 %, comme ce fut le cas le 18 juin, un investisseur qui prêterait 10 000 euros à la France, ne récupérerait 10 ans plus tard que… 9 999,80 euros ! De quoi faire triste mine lorsqu'on souhaite placer son argent… Ce phénomène de taux extrêmement bas déconcerte les économistes, certains le jugeant « inespéré », d'autres « délirant ».« Combien de temps cela va-t-il durer ? Jusqu'où cela peut-il aller ? Tout le monde se pose des questions », résume Ludovic Subran, chef économiste d'Allianz, invité aux rencontres économiques d'Aix-en-Provence qui viennent de se clore ce dimanche.« Les taux d'emprunts négatifs, c'est absurde dans un système capitaliste, s'agace Pascal Lamy, l'ex-directeur général français de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Dans un tel contexte, plus personne ne sait comment choisir ses investissements. Cela pousse à la spéculation, par exemple dans l'immobilier ou dans les œuvres d'art. Et, par ricochet, cela crée des bulles dangereuses pour l'économie. »
Comment en est-on arrivé là ?
La politique monétaire expansionniste des banques centrales, qui maintiennent leurs taux directeurs très bas depuis des années, explique, pour une bonne part, la situation. Après une première incursion en territoire négatif en 2016, le taux d'emprunt à 10 ans de l'Allemagne, qui fait référence en Europe, a plongé en mars et ne cesse depuis lors de s'enfoncer.Depuis la mi-juin, c'est donc au tour du taux d'emprunt à 10 ans de la France de tomber à un plus bas historique. « Gare aux mirages et aux fausses bonnes nouvelles, prévient Philippe Waechter, chef-économiste chez Ostrum Asset Management (Ex-Natixis Asset Management), une société de gestion d'actifs financiers. Fondamentalement, des taux d'intérêt négatifs traduisent un mouvement de repli et des anticipations médiocres sur l'évolution future de l'économie. »La faute à… « Monsieur Trump ! Le docteur Folamour du commerce international », estime Pascal Lamy, pour qui la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine fait peser de lourdes incertitudes sur l'économie mondiale. Ce contexte géopolitique tendu fait peser des incertitudes sur la rentabilité des entreprises (et donc sur le cours de leurs actions). Alors, les investisseurs optent pour les dettes souveraines des pays développés, jugées plus sûres. L'Allemagne en tête, mais aussi la France, deuxième économie de la zone euro, bénéficient de ce report.« Mettez-vous dans la peau du gestionnaire d'un fonds de pension obligé d'investir son argent à 30 ou 40 ans, qu'est-ce que vous faites ? interroge Pascal Lamy. Vous n'allez pas acheter de l'or, parce que l'or, ça va, ça vient… Vous pouvez vous tourner vers les fonds d'investissement qui vous promettent 5 % de rendement, ou davantage, mais c'est spéculatif. Cela peut se faire pour une partie de vos choix – pour mettre un peu de poivre dans votre stratégie – mais pas pour l'ensemble de vos placements. À l'arrivée, pour limiter ses risques, un fonds de pension va souscrire de la dette souveraine. »
Mais si c'est pour perdre de l'argent, alors, pourquoi investir ?
Certains investisseurs n'ont pas d'autres choix, pour des raisons tant financières que réglementaires. « Et puis, imaginez que ces gens-là laissent leur argent dormir à la banque : dans un contexte incertain, comment être sûr que, dix ans plus tard, la banque n'aura pas fait défaut ? L'État français est jugé plus sûr, explique Philippe Waechter. Certains gros investisseurs sont prêts à perdre un peu d'argent, contre la certitude de retrouver leur capital, même un peu rogné, dix ans plus tard. » Anthony Requin, patron de l'Agence France Trésor, chargée de placer la dette française sur les marchés, dit la même chose autrement : « L'investisseur nous confie son argent comme s'il louait un coffre-fort », et ce sont les frais de cette location que reflètent les taux négatifs.
Est-ce une bonne nouvelle pour les particuliers ?
Oui et non. Non, car ils ne bénéficieront jamais de taux négatifs ! Les banques s'y refuseront toujours pour la simple et bonne raison qu'elles n'y sont pas autorisées. Mais oui, cela reste une bonne nouvelle pour les emprunteurs, car le taux auquel l'État s'endette sert de référence pour les taux des crédits aux particuliers. L'effet taux négatif a d'ailleurs été immédiat.
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